De l’importance de respecter le prénom que se choisissent les adolescents en questionnement de genre…
Instantanément l’adolescente se raidit, son regard gris vira au noir d’encre et fit l’effet d’une canonnière prête à me pilonner. En dépit des avertissements, j’avais fait la boulette du siècle. En utilisant son prénom de naissance je m’étais mis Game Over. Julien, ou plutôt Delphine selon son état civil, se ferma comme une huître, plus aucun mot ne filtra de ses lèvres serrées. L’atelier d’art-thérapie jusque-là sans accroc venait de sombrer, emporté par mon faux pas. Pourtant deux minutes plus tôt mon collègue me chuchotait « elle accroche, elle est avec nous ! ».
Cette scène réellement vécue illustre la réalité quotidienne de nos établissements médico-éducatifs sommés d’articuler le respect de l’identité choisie par ces jeunes en quête de repères avec les contraintes administratives et légales qui ne connaissent que le prénom officiel pour valider sans ambiguïté leur double parcours scolaire et médical.
Dans ce moment crucial de l’adolescence, nous devons comprendre les ressorts qui poussent ces jeunes à vouloir abandonner leur prénom d’origine. Parfois c’est la volonté de larguer les amarres du navire familial pour s’affirmer ou s’identifier à un modèle, à une célébrité. Plus fréquemment aujourd’hui c’est l’émergence d’un questionnement douloureux et déstabilisant sur leur identité de genre qui est le moteur principal. Dénonçons ici la responsabilité pleine et entière des dérives prosélytes de l’idéologie du genre qui s’imposent aux enfants et aux plus vulnérables à travers les réseaux sociaux, et qui infuse même notre système éducatif.
S’attribuer un prénom d’usage n’est pas anodin, et ne doit pas être considéré comme une simple lubie, particulièrement pour ces adolescents en conflit avec leur sexe d’assignation. C’est en réalité un choix intime et un acte politique.
Pour Delphine, c’est par le prénom de Julien qu’elle veut être reconnue et acceptée par le groupe. Et pour une jeune fille de 16 ans, s’autoriser un prénom du genre opposé signe sa volonté de voir sa nouvelle identité sexuelle socialement reconnue. Ne pas respecter ce choix serait nier cette identité en devenir. En lui confisquant ainsi son autonomie – autrement dit la faculté de se fixer à soi-même ses propres règles – c’est sa dignité de personne humaine que l’on bafoue, compromettant toute adhésion ultérieure au parcours de soins et au parcours scolaire.
Toutefois, pour les encadrants soignants et éducateurs, jongler entre prénom d’usage et prénom d’état civil est un défi. En effet, si l’utilisation du prénom choisi doit être respectée dans les interactions quotidiennes, le recours au prénom de naissance est impératif pour le suivi médical (identitovigilance, traçabilité du dossier) et éducatif (dossier scolaire, bulletins, examens).
Pour gérer efficacement cette dualité bien contraignante, les établissements doivent impérativement travailler sur leur règlement intérieur et sensibiliser leurs personnels, particulièrement ceux qui se montreraient dubitatifs vis-à-vis de ces évolutions sociétales. Et pour déminer par avance le terrain, travailler également avec leurs patients/étudiants pour leur expliquer que les organisations humaines sont faillibles, et qu’il y aura forcément un jour ou l’autre des maladresses bien involontaires dont ils ne devront pas prendre ombrage. Néanmoins, aujourd’hui, cadre juridique et recommandations de l’Éducation Nationale favorisent sans ambiguïté le respect de l’identité de genre dans l’espace informel et spécifient les situations officielles qui ne l’autorisent pas.
En définitive, reconnaître l’autre dans ce qu’il ou elle aspire à être, revient à lui conférer la dignité et la considération qui sont les clés de tout accompagnement réussi.
Pr Gilles Bernardin