Une ode à l’éthique du geste ordinaire
Un accident, une maladie, une chute…
Il suffit d’un hasard de la vie pour prendre conscience de la fragilité de la condition humaine. D’un jour à l’autre, nous aussi, pourrions avoir besoin d’aide pour les gestes essentiels du quotidien. En particulier pour ceux qui relèvent de notre sphère d’intimité, au grand dam de notre pudeur qui, selon max Scheler, est le premier sentiment moral de l’être humain. Et c’est là qu’intervient l’aide-soignant. Mal nommé, comme si sa fonction n’était que secondaire, il est un soignant à part entière avec un grand S. Aussi proche du patient qu’il soit possible, l’aide-soignant est souvent le premier sourire du matin et le dernier réconfort du soir. Il en partage l’ordinaire de la vie hospitalière: la toilette, le repas, l’écoute d’une plainte, le respect d’un silence. Ces banals moments sont en réalité des instants de vérité. C’est là que se tisse la confiance, que se révèle ce qu’aucun algorithme ne peut capter: l’inquiétude d’un regard, la grimace d’une douleur cachée, la honte d’un corps trop exposé.
Aujourd’hui le credo en vogue est celui de l’automatisation et de l’optimisation des soins qui seraient confiées à la bienveillance d’une intelligence artificielle. Mais quelques lignes de code ne remplaceront jamais la main qui soutient, le sourire qui rassure, ni cette présence silencieuse qui comprend sans qu’il ne soit besoin de mots. Souvent l’aide-soignant est source d’informations précieuses que nul autre ne peut recueillir: un moral en chute, un malaise durant la toilette matinale, une confidence sur la vie familiale. Autant de signaux faibles, mais essentiels à la juste compréhension du patient et de son environnement.
Être aide-soignant, c’est exercer un métier physique, exigeant. La charge mentale est lourde, la reconnaissance souvent insuffisante, et la rémunération bien maigre au regard de la valeur humaine et du rôle social assumé. Pourtant, dans la chaîne du soin, c’est par ce maillon «distal» que circule principalement le souffle de l’humanité du soin.
L’éthique, rappelons-le, n’est pas seulement affaire d’experts ou de comités ad hoc. Elle prend naissance et se vit d’abord dans la proximité du patient. Comme une impalpable alchimie alliant discernement, prudence et audace, ses outils sont l’écoute, la patience et la sollicitude. Elle prend racine dans ces gestes quotidiens qui disent: tu comptes pour nous. C’est sûrement là que se situe la plus haute forme d’éthique: dans l’attention inconditionnelle à l’autre et la restauration d’une dignité vacillante.
Puisque, dans la tradition catholique. le mois d’octobre est dédié aux anges gardiens, rendons ici hommage à tous ces hommes et femmes qui incarnent au quotidien cette éthique de la sollicitude, qui n’est autre que cette spontanéité bienveillante si chère à Paul Ricoeur. Sans eux, le soin serait sans visage.
Pr Gilles Bernardin