«Fumata bianca, fumata bianca!!»
À ces cris une formidable clameur s’élève alors de la foule compacte qui attend depuis trois jours. Tous les regards se tournent vers les fumerolles blanches qui s’échappent de la fine cheminée installée pour l’occasion sur le toit de la chapelle Sixtine.
Après l’attente, l’exultation.
Sur la place Saint-Pierre les corps se serrent, les cœurs battent à l’unisson. Aux premiers rangs les plus fragiles: les malades, les handicapés, les épuisés de la vie. Leurs yeux brillent d’une ferveur inouïe, et cette lumière intérieure que rien ne semble pouvoir éteindre vient leur redonner les couleurs de la vie.
Et puis le silence. Le rideau rouge s’ouvre. La loggia centrale de la basilique s’illumine.
«Habemus papam»
Un moment suspendu de pure transcendance. Comme un souffle divin qui vient caresser la foule.
Pourquoi ce frisson, pourquoi ces larmes sur ces visages? Parce que la spiritualité de l’instant vient révéler une vérité enfouie: l’être humain a besoin d’élévation. Comme pour s’extirper de sa condition, finie par essence. Il ne se nourrit pas seulement de soins, de chiffres, de protocoles, il se nourrit aussi et surtout de sens. Et face à la maladie, au déclin, au mystère de la souffrance, la quête spirituelle n’est plus un luxe. Elle est un tuteur, un ancrage contre la dérive. Un souffle qui ranime.
Dans nos hôpitaux, nos EHPAD, tous nos centres de soins, notre médecine tout en formidables techniques fait chaque jour des prouesses. Mais souvent elle oublie le murmure de l’âme blessée. Nous réduisant à la seule somme de nos organes, elle fait comme si le subtil dialogue de l’esprit et du corps n’existait pas, ou si peu. Pourtant l’un sans l’autre nous n’existons pas. Qui peut prétendre que soigner les plaies du corps ne soulage pas les peines de l’âme? Et la réalité des maladies psychosomatiques prouve que l’esprit orchestre ce silence des organes que nous appelons la Santé. Soigner un corps malade sans écouter une angoisse existentielle, c’est risquer de traiter la douleur sans comprendre la souffrance. À l’inverse, accompagner un patient en lui permettant de puiser dans ses ressources spirituelles, c’est souvent raviver en lui l’étincelle qui rend possible la guérison. Rappelons au passage que spiritualité et religiosité ne sont pas synonymes et qu’il ne faut pas dénier au plus athée d’entre nous le fait de pouvoir être un être spirituel.
En prenant le temps d’entendre cette dimension invisible, le soignant redevient l’artisan d’une médecine pleine et entière. Il ne porte plus seulement un savoir, une autorité, il guide la main du patient vers une espérance. Et dans cette alliance qui mêle technique, présence et humanité, naît la vraie guérison.
La foule du Vatican nous le rappelle: les plus vulnérables portent en eux une force intérieure insoupçonnée. À nous, soignants, de ne jamais l’oublier afin de s’en faire la plus puissante des alliées.
Pr Gilles Bernardin