Dans la nuit du 21 juin, la frappe américaine sur les installations nucléaires iraniennes a plongé le Moyen-Orient dans le chaos et le monde dans l’incertitude du lendemain. Et cette guerre, dont personne ne sait si le fragile cessez-le-feu va durer, commence déjà à générer son propre flux d’exilés. Nous le savons, les routes migratoires convergent toujours vers les pays en paix et les appels à l’aide se font de plus en plus pressants. D’ailleurs, pour ne pas oublier ce nécessaire devoir de solidarité, nous étions invités ce vendredi 20 juin à célébrer la Journée Mondiale des Réfugiés. La veille de l’opération «Midnight hammer», comme une ironie de l’Histoire! Mais dans une Europe déjà sous tension, dans une France qui peine à loger, soigner, intégrer, la question de l’accueil au sens large n’est plus seulement éthique, elle est devenue question de société.

Accueillir, toujours et sans réserve? La question que l’on n’ose plus poser!

Valeur cardinale de nos sociétés, l’accueil de l’Autre témoigne de notre humanité, de notre solidarité, de notre refus de l’indifférence. Mais une question dérange, silencieuse, qui traverse aujourd’hui les consciences: est-il toujours éthique d’accueillir?

Une générosité à crédit

Accueillir sans toit, sans soin, sans accompagnement, est-ce encore de l’hospitalité? Ou bien un abandon déguisé? Lorsque l’État ou les institutions ouvrent la porte mais ne sont plus en mesure d’offrir un cadre digne, ce n’est plus de l’altruisme. C’est une promesse non tenue.

Fracture sociale, fracture morale

Dans le même temps, une autre souffrance s’exprime. Celle de nombreux citoyens, épuisés, précarisés, invisibles, qui vivent l’accueil des autres comme une mise à l’écart d’eux-mêmes. À force de ne rien recevoir, ils regardent la solidarité active comme une injustice passive. Et ce sentiment, alimenté par l’impuissance du système à améliorer leur quotidien, devient rejet. Non du migrant, mais du système lui-même.

Une éthique qui oppose les vulnérabilités

Lorsqu’une société oppose les misères plutôt que de les penser ensemble, elle trahit l’idée-même de fraternité. La vraie hospitalité ne devrait pas choisir son prochain. Et pourtant, dans les faits, c’est ce qui est souvent perçu. Ce sentiment d’abandon ressenti par les uns, ne devrait jamais être suscité par l’aide donnée aux autres. C’est le piège d’une hospitalité déséquilibrée.

Accueillir, mais avec lucidité

Ce n’est pas un appel au repli. C’est un appel au discernement. L’éthique de l’accueil ne doit pas s’affranchir de la réalité. Elle doit la faire sienne. Et oser dire que sans moyens, sans justice sociale, sans cadre clair, accueillir peut faire plus de mal que de bien.

Conclusion: raccorder les deux bouts de la chaîne humaine

Accueillir, oui. Avec et pas contre. Pas au prix d’un déséquilibre social.

Exiger de faire tenir ensemble l’exigence morale d’hospitalité et la responsabilité de la cohésion sociale, sous peine de sacrifier l’une à l’autre. Car accueillir sans pouvoir garantir la dignité, c’est trahir deux fois: ceux qui arrivent et ceux qui vivent déjà là.

Pr Gilles Bernardin