« GPA éthique »: un oxymore pour masquer une gênante réalité

Parée des atours de l’Éthique, la gestation pour autrui fait son retour dans le débat public, marquant une nouvelle étape dans une évolution sociétale qui ne cesse de nous interroger. Portée par l’ancien Premier ministre Gabriel Attal, la proposition de légaliser une GPA dite « éthique » réactive la controverse de savoir comment concilier le désir légitime d’enfant avec les droits inaliénables de ceux qui viennent au monde et des femmes qui les portent.

Balançant entre compassion pour les couples en mal d’enfant et refus de toute marchandisation du corps humain, le débat tourne trop souvent à l’opposition caricaturale entre conservateurs et progressistes. Mais cette lecture binaire masque les questions de fond, qui relèvent moins de l’opinion que de principes éthiques structurants.

Car au cœur de toute GPA, y compris étiquetée « altruiste », demeure une vérité difficile à contourner: celle de l’abandon programmé d’un enfant à sa naissance. Cet abandon, même consenti, ne se réduit pas à un simple arrangement moral entre adultes. Il engage des réalités profondes: les liens précoces noués in utero entre une mère et l’enfant qu’elle porte; l’empreinte biologique et affective que cette relation laisse dans le corps et la mémoire de chacun; les traces épigénétiques, de mieux en mieux documentés, qui impacteront la santé des enfants et de leurs descendances.

Derrière la promesse d’une GPA éthique se pose une autre question essentielle: celle de la hiérarchie des droits. Le désir d’enfant d’un couple, aussi sincère soit-il, peut-il primer sur les droits fondamentaux de l’enfant à naître? Peut-on garantir que cet enfant ne sera pas réduit, malgré les précautions discursives, à l’objet d’un contrat, fût-il désintéressé? Car même en l’absence de compensation financière, il subsiste une logique de commande, de mise à disposition d’un corps, et finalement de livraison d’un être humain.

La blessure de ne pouvoir devenir parent est réelle, intime, souvent tragique. Mais peut-elle en justifier une autre, encore plus profonde car fondatrice, celle d’une séparation planifiée, de la mère qui renonce et de l’enfant à qui l’on dira que son histoire a commencé par une absence? Au nom d’un choix d’adultes. Une société dite éthique peut-elle faire le choix d’apaiser la douleur des uns en en créant une nouvelle pour d’autres, plus silencieuse, plus difficile à formuler car enfouie dans les débuts de la vie?

Enfin, faut-il inscrire dans la loi un basculement anthropologique majeur – celui de dissocier radicalement gestation et maternité – pour répondre à la demande d’une minorité de bénéficiaires? Ce qui, il y a quelques années encore, soulevait une indignation éthique, deviendrait-il acceptable sous prétexte que d’autres pays l’ont légalisé? Doit-on accepter que la pression du mimétisme international ou de certains lobbies soit le moteur de nos choix de civilisation?

Il ne s’agit pas ici de condamner, ni même de juger, mais de résister à une forme de fatalisme qui prétend que tout ce qui est techniquement possible et émotionnellement souhaité soit in fine légalement permis. L’éthique, précisément, est ce qui nous permet de poser des limites là où le droit seul ne suffit plus à protéger la dignité de la personne humaine.

Plutôt que de brouiller les frontières au nom d’un progressisme débridé, peut-être est-il temps de rouvrir un débat apaisé sur ce que nous voulons transmettre à ceux qui viennent au monde. Plus que de mobiliser toutes les ressources de la technique pour leur permettre d’exister, offrons-leur les meilleures conditions pour se construire, dans le respect de leurs origines, et dans la cohérence de ce que nous reconnaissons comme fondements de notre humanité.

Pr Gilles Bernardin