Torpillé par la dissolution de l’Assemblée nationale du 7 juin 2024, le projet de loi «fin de vie» nous revient scindé en deux textes, l’un déjà consensuel, consacré au développement des soins palliatifs, et l’autre à l’aide à mourir.
Ce dernier se présente d’emblée sous une mouture encore plus permissive. La formulation de son article 4 prévoit qu’une aide à mourir puisse être accordée à tout majeur de nationalité française porteur «d’une affection grave et incurable qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale avec une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection qui est soit réfractaire au traitement soit insupportable selon la personne lorsqu’elle a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement».
À l’évidence ce chaînage de termes vagues, peu pertinent cliniquement et sans mention de la temporalité du pronostic vital offre un boulevard à la subjectivité de son interprétation.
Dès aujourd’hui des dizaines de milliers de Français, en alléguant la souffrance insupportable de leur maladie chronique et invalidante, seraient potentiellement éligibles. Qu’ils soient en insuffisance cardio-respiratoire avancée, en insuffisance rénale terminale sous dialyse, porteur d’une polyarthrite rhumatoïde déformante, d’une rétinopathie diabétique très évoluée ou d’une autre affection de longue durée, tous pourraient faire valoir ce nouveau droit si la loi était votée en l’état.
Puisqu’il est prévu qu’un seul médecin valide la procédure dans un délai maximal de 15 jours sans nécessité d’une contre-expertise, le passage de vie à trépas serait bien plus rapide que chez nos voisins européens. Alors comment ne pas craindre qu’au pire du mal une phase de fragilité psychologique ne les pousse à prendre une décision définitive?
Considérant que la loi Claeys-Leonetti ne peut répondre à toutes les situations et que le souhait d’une liberté de choix relative à sa fin de vie est exprimé dans toutes les enquêtes d’opinion, nous concevons bien évidemment que le législateur offre exceptionnellement la possibilité de s’extraire des affres de la maladie et de la souffrance lorsque qu’une affection vous ronge sans vous tuer et que la Médecine n’apporte plus l’aide attendue. Mais soyons conscients que cette évolution législative est un piège béant dans lequel sont tombés tous les pays qui nous ont précédés.
À chaque fois les digues de papier ont cédé, emportant les verrous éthiques les uns après les autres.
En Belgique on connait le cas médiatisé d’euthanasie de cette jeune femme en dépression post-traumatique après l’attentat de Zaventem, aux Pays-Bas la banalisation du geste est actée et peuvent y prétendre des personnes simplement fatiguées de la vie, tandis qu’au Canada pauvreté et isolement social sont des motifs fréquemment invoqués en appui d’une pathologie pour demander à «bénéficier» d’une aide à mourir.
En ce qui nous concerne, soyons persuadés qu’un texte mal ficelé altèrerait la confiance naturelle du public dans le corps médical et fragiliserait la solidarité intergénérationnelle. Alors faut-il vraiment légiférer et s’exposer à toutes les dérives? Ne pourrait-on pas retravailler sur l’idée d’engagement solidaire et d’exception d’euthanasie que le CCNE, dans sa grande sagesse, avait développé dans son avis 63 du 27 janvier 2000?
C’est le devoir de non-abandon de ceux qui souffrent qui doit nous obliger à remettre l’ouvrage sur le métier avec toute la prudence requise et sans céder à la tentation démagogique.
Et si, avant de légiférer pour déterminer quand et comment tuer, nous trouvions plutôt le moyen de faire appliquer ce droit pour toute personne dont l’état le requiert d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement tel qu’il figure dans le premier article de la loi du 9 juin 1999?
Le vrai scandale de notre système de santé c’est que perdure cette «peur du mal mourir», moteur du sentiment pro-euthanasie des sondages d’opinion et du tourisme de la mort vers la Belgique et la Suisse. Et cette peur est légitime, car seulement 20% des patients qui pourraient prétendre à une admission en Unité de Soins Palliatifs obtiennent aujourd’hui leur ticket d’entrée.
Laisser penser qu’une unité de soins palliatifs nous ouvrira largement les bras au moment où nous en aurons besoin relève aujourd’hui de la douce illusion. Nous verrons ce que promettra à son tour le texte spécifique qui sera débattu en même temps à la mi-mai, mais il est à craindre que l’adoption concomitante d’une dépénalisation de l’aide à mourir n’en limite considérablement la portée.
Pr Gilles Bernardin