Un éditorial du Pr Gilles Bernardin, Président de l’Espace Éthique Azuréen

Comme l’ont été avant elle de nombreux pays européens, la France se retrouve à son tour à la croisée des chemins sur une question éthique majeure devenue question de société: celle de l’aide active à mourir. Cette loi, qui pourrait nous être présentée fin septembre, devra composer avec les fortes tensions éthiques qui balancent entre droit des patients à disposer de leur propre vie et immense responsabilité incombant aux soignants qui accepteraient d’être acteurs de cet accompagnement ultime.

Si le droit à l’autodétermination est considéré comme un principe fondamental de nos sociétés démocratiques, les individus devraient avoir le droit de décider de leur propre destin, y compris de la manière dont ils souhaitent sortir de cette vie. Particulièrement lorsqu’une maladie incurable les condamne à des souffrances insupportables et non porteuses de sens. Dans cette perspective, l’aide active à mourir peut être vue comme une extension logique des droits individuels, permettant à chacun de choisir une fin de vie apaisée et en adéquation avec sa propre conception de la dignité.

Mais la mise en œuvre de cette loi n’est pas uniquement le fait du patient, puisque cette aide à mourir nécessite adhésion et implication «active» du soignant. Si le serment d’Hippocrate les engage à «ne jamais nuire», comment interpréter cette promesse dans le contexte de l’aide active à mourir? Est-ce nuire que d’aider quelqu’un à mettre fin à ses souffrances, même si cela implique de provoquer la mort? Ou est-ce nuire que de refuser cette aide, obligeant ainsi le patient à continuer de souffrir? Georges Bernanos nous dit que l’homme d’aujourd’hui a la tripe sensible (et qui ne l’aurait pas devant la souffrance d’autrui?) mais le cœur dur. Qui aura alors le cœur le plus dur? Celui qui fait sienne une demande éclairée et réitérée du patient pour l’aider à échapper à sa souffrance, ou bien celui qui s’y refuse catégoriquement en alléguant que nos structures de soins palliatifs tiendraient à coup sûr toutes leurs promesses lorsque ce sera nécessaire. Mais nous savons que ce ne sera pas le cas. Et les condamnés «à moyen terme», ceux qui se situent dans l’angle mort de la loi Claeys-Leonetti, le savent parfaitement, redoutant et refusant la déchéance annoncée et le spectre du «mal-mourir».

Avec cette loi, quelles qu’en seront les modalités d’application, la charge éthique et émotionnelle déjà conséquente des soignants s’en trouvera considérablement alourdie. Certains craindront que des pressions familiales, économiques ou même sociétales n’en viennent à parasiter une prise de décision et à hâter le souhait de mourir. D’autres, en conflit avec leurs convictions personnelles ou religieuses, préfèreront passer la main.

Il est donc essentiel que l’annonce de cette loi soit accompagnée de mesures concrètes de soutien pour les professionnels de santé. Formations spécifiques, mobilisation des espaces de discussion éthique et processus d’accompagnement psychologique devront être mis en place. De plus, il est impératif d’instaurer des dispositifs garde-fous pour éviter toute forme d’abus ou de décision hâtive (attestation incontestable de la souffrance subie, collégialité de la décision…) et la tenue d’un registre national notifiant tous les éléments pertinents est hautement souhaitable.

Enfin, il est crucial que le débat public autour de cette loi ne se polarise pas stérilement. Il ne s’agit pas d’un choix entre le bien et le mal, mais d’une réflexion profonde sur la nature de la vie, de la mort et de la dignité humaine. Il est impératif que chaque voix, chaque inquiétude et chaque espoir soient entendus et pris en compte.

La France se trouve à un tournant éthique. La décision qu’elle prendra aura des répercussions profondes sur la société, les patients et les soignants. Espérons qu’elle saura trouver un équilibre entre le respect des droits individuels et la protection de l’intégrité morale et émotionnelle de ceux qui sont en première ligne.