Des quatre piliers classiques de l’éthique médicale, le principe d’autonomie est à mon sens celui qui mérite une attention particulière car sujet à interprétation et à traitement particulier en fonction du contexte.

Sur les 3 autres principes, l’acte médical rejoint facilement l’attente du patient. L’un et l’autre souhaitent (donner/recevoir) les meilleurs soins [bienfaisance] , avec le moins de désagrément possible [primum non nocere de la non malfaisance], sans subir la moindre discrimination ou inégalité d’accès aux soins [justice].

Qu’en est-il du quatrième, de l’autonomie?

Dans la conception anglo-saxonne le colloque singulier du patient avec son médecin devient une relation d’égal à égal dans laquelle le client (le patient) achète une prestation technique sur base d’un contrat de soin. Chez nous, le discours (officiel) convenu fait du patient un « citoyen co-acteur de sa prise en charge (social-sante.gouv.fr) », qui doit devenir « acteur de sa trajectoire (HAS-sante.fr) » et que l’on doit même « considérer comme une membre à part entière de l’équipe qui le prend en charge (anap.fr) ». Le patient n’est plus (un) malade, il est devenu un usager du système de santé. Il serait ainsi prêt à tout entendre, à tout saisir de la complexité de sa situation clinique, et à participer en toute intelligence au choix de la meilleure option thérapeutique. Rangé au clou le paternalisme médical du « soyez tranquille mon brave, je sais ce qui est bon pour vous », trop désuet et somme toute irrespectueux des droits du patient! Vive la relation contractuelle franche et symétrique de la Santé Participative du « Hello Doc, on part sur quelle base?… et jouez la moi franco je peux tout encaisser! ».

Est-ce cela qu’ils viennent tous réellement chercher? Certainement pas lorsque je regarde ces familles pétries d’inquiétude attendant devant l’entrée de mon service de réanimation ou lorsque mon collègue urgentiste appréhende d’un regard circulaire cet échantillon de misère humaine qui se presse dans ses boxes de soins. La relation médecin-malade est forcément asymétrique entre un demandeur qui souffre et celui qui est censé détenir la solution de son problème. Au delà des soins le patient veut être rassuré (le meilleur médecin n’est-il pas celui qui vous dit « soyez tranquille c’est pas grave, vous serez sur pied en un rien de temps »),  et bien souvent c’est d’une protection contre ses peurs dont il a besoin.

Comme d’autres le diront mieux que moi, nous sommes ici dans une situation caractérisée d’hétéronomie, celle d’un sujet soumis à une norme qui lui est imposée de l’extérieur (sa maladie, les décisions médicales qui s’appliquent à lui…). Ce principe d’autonomie, mal nommé, doit s’entendre pour nous médecins, comme une injonction, j’oserais dire comme un impératif catégorique à satisfaire le patient dans son désir de reconnaissance et de prise en compte de sa dignité d’être souffrant en perte de repère. D’abord l’écouter sans l’interrompre, ce temps de parole trop souvent sacrifié sera déjà la preuve de l’attention réelle dont il fait l’objet. Suivra ensuite le discours clair, sans artifice, adapté à ce qu’il est en capacité d’entendre, mais toujours bienveillant. On est ici dans le savoir être, le terme le plus subtil de l’art médical, celui qui se transmet au mieux par le compagnonnage. En cela j’ai régulièrement dit à mes internes, « prenez une minute pour visualiser la situation, inverser mentalement les rôles et prenez la place de votre patient ou de son proche; votre attitude et votre discours seront différents, plus authentiques, plus humains ». In fine , pour moi un seul mot résume à lui seul l’ensemble de la sollicitude et de l’attention dues au patient: c’est « Respect », entendu dans toutes ses dimensions.

Pr Gilles Bernardin