Chers amis, chers collègues, chers lecteurs,

Entre le jeune porte-parole du gouvernement qui prophétise une lumière au bout du tunnel dès le mois prochain et mon estimé collègue Djillali Annane (chef du service de réanimation de l’Hôpital Raymond Poincaré, Garches) qui n’imagine pas un retour à une vie normale avant la fin de la décennie… votez pour votre champion.

Sans boule de cristal et peu parieur par nature, je vous laisse, en fonction de votre tempérament, rejoindre le camp de l’optimisme béat ou celui du pessimisme anxio-dépressif

Fidèle au classique in medio stat virtus qui invite la raison à se méfier des extrêmes, disons que pour en sortir nous mettrons un certain temps (comme le fût du canon du regretté Fernand Raynaud). Et quand on évoque la « sortie de crise » ou le « monde d’après » (peu importe la sémantique), l’honnêteté devrait nous pousser à utiliser la formule « une vie avec »

Car c’est bien cela qu’il faut intégrer. On ne se débarrassera pas du SARS-CoV-2 par miracle ni par une vaccination « one shot » de la population mondiale. Tout porte à croire qu’il va s’enraciner dans le paysage et qu’il nous faudra composer avec. 

Soyons persuadés que le cocktail de ses variants donnera du fil à retordre à notre bio-ingénierie vaccinologique, nous convoquant sur le temps long à une partie de cache-cache mortifère. N’ayons pas la naïveté de croire que nous allons définitivement faire rendre gorge à la bestiole qui, du haut de ses 30 kilobases codant pour seulement 15 gènes, a fait vaciller en quelques semaines les plus grandes puissances économiques de la planète. 

Si ces dernières avaient anticipé et dépensé autant d’efforts et d’argent pour armer dans la durée leurs défenses sanitaires que pour aller explorer Mars ou la Lune, nous ne nous serions peut-être pas retrouvés aussi dépourvus lorsque la bise (virale) fut venue (sic)… 

Chez nous, ce petit bout d’ARN a révélé en un clin d’œil la fragilité du système de santé qui faisait notre fierté. C’est manifestement au prix fort que nous payons aujourd’hui les conséquences désastreuses d’une idéologie dominante qui prône depuis plus de 20 ans le concept d’hôpital-entreprise à l’antithèse du besoin réel d’une population progressivement vieillissante et en voie de paupérisation. 

La même politique de rationnement et de renforcement du contrôle administratif qui a prévalu pour les soins n’a pas épargné la recherche. 

Insuffisance de soutien financier, pesanteur bureaucratique et incapacité à fidéliser les meilleurs talents, font qu’aujourd’hui le pays de Pasteur doit quémander ses doses comme un miséreux. 

Notre savoir-faire national en vaccinologie, pourtant indéniable et stratégique s’il en est, n’a malheureusement pas su être au rendez-vous et nous ne comptons plus que sur la voix dissonante de l’Europe pour assurer notre approvisionnement. En somme, le résultat de l’impéritie des politiques de Santé Publique des deux dernières décennies.

Mais cela, nous l’avons déjà répété à l’envi, tellement la chose est criante pour les soignants qui vivent le drame de l’intérieur.

Faisons le constat lucide qu’un an après le début de cette tragédie, et malgré l’ensemble des mesures de distanciation sociale, de restrictions d’activités et de liberté de circulation, ce troisième assaut nous déborde. 

Les réanimations sont saturées et l’évocation d’un triage des patients pour un accès en réanimation ne relève plus du tabou… évidement au grand dam de nos ministres. Comme au printemps dernier, la prise en charge des patients non COVID est pénalisée par des déprogrammations massives qui génèreront immanquablement des situations de perte de chance. 

Cent cinquante établissements scolaires et plus de trois milles classes sont fermés à ce jour. Des dizaines de milliers d’entrepreneurs mettent la clé sous la porte ou sont en passe de le faire car le « quoi qu’il en coûte » n’est pas viable ad vitam aeternam. De fait, on attend plus de 100.000 faillites sur 2 ans et la destruction de 820.000 emplois rien que sur l’année 2021. Les soupes populaires sont sollicitées par de nouveaux arrivants parmi lesquels beaucoup d’étudiants. Le baromètre du moral des Français est en berne et les psychiatres nous alertent sur la très significative dégradation de leur santé psychique.

Alors, que pouvons-nous raisonnablement proposer pour restaurer la confiance lorsque l’avenir paraît si bouché ? 

En premier lieu, faire en sorte que la vaccination, unique porte de sortie de cette crise, soit considérée comme un enjeu de sécurité nationale. A titre personnel je considère que le séisme socio-économique et sanitaire que nous vivons depuis un an et dont le terme nous échappe, doit faire envisager une inscription sur la liste des obligations vaccinales.

Il y a un moment où la santé collective doit primer sur les tergiversations individuelles. 

Devons-nous toujours accepter que l’expression d’une liberté (celle de ne pas se faire vacciner) soit de nature à nuire à Autrui et à la Société ? Pour beaucoup d’autres maladies la réponse a été NON… alors pourquoi une philosophie différente pour la COVID-19 ? 

La campagne de vaccination, qui a débuté timidement, s’accélère avec maintenant le concours de professionnels non médecins, mais ne négligeons pas le soutien logistique et organisationnel que pourrait apporter le Service de Santé des Armées. Puisque le goulot d’étranglement réside dans la filière d’approvisionnement en vaccins, pourquoi ne pas assouplir les règles afin de contractualiser en direct avec les firmes ? Acceptons également la main tendue des Russes qui proposent leur Spoutnik V dans la mesure où les prérequis d’efficacité et de sécurité sont aujourd’hui validés par la communauté scientifique et que 48 pays l’utilisent. Aucune considération géostratégique ne devrait être invoquée devant une situation critique qui n’appelle qu’entraide et pragmatisme

Enfin et surtout, écoutons la grogne d’une population proche de son point de rupture. De toutes les restrictions de liberté que nous avons expérimentées, c’est l’interdiction d’exercer son métier, celui qui assure la subsistance, qui est la plus insupportable. Le distinguo entre métiers essentiels et non essentiels n’est plus tenable et les listes des activités autorisées changent manifestement au gré du vent sinon de la pression des lobbies… et je me presse d’en rire, de peur d’être obligé d’en pleurer (sic). De cette armée de laissés-pour-compte sourd une indignation palpable, à prendre dans son sens le plus brut. Comprenons ici la sensation d’avoir été dépossédé d’une partie de sa dignité, en l’espèce de son utilité sociale, de son lien d’ancrage dans la cité. 

Pierre Le Coz nous dirait que c’est le profond sentiment d’injustice dans le traitement dont nous sommes l’objet qui est le moteur de l’émotion que l’on qualifie d’indignation. Il est sûr que pour qu’un groupe humain confronté à une situation extrême adhère aux mesures coercitives qui lui sont prescrites, il faut impérativement que chacun ait le sentiment d’avoir été traité de manière équitable et de n’avoir fait l’objet d’aucune discrimination. Et ce n’est manifestement pas le cas. Il suffit pour s’en convaincre d’une courte balade vous faisant passer, en quelques enjambées, de l’exubérance bruyante et joyeuse de notre Marché aux Fleurs au silence sépulcral des ruelles du Vieux Nice dont le cœur s’est arrêté.

Depuis un an, certes le pouvoir a été contraint de cheminer sur l’étroite ligne de crête qui sépare paralysie de la vie économique d’un côté et asphyxie du système de santé de l’autre ; mais aujourd’hui il est urgent de trouver un point d’équilibre afin de ne plus systématiquement subordonner l’impératif de justice distributive au principe de sauver des vies à n’importe quel coût

En aggravant les vulnérabilités d’une multitude pour tenter de préserver la vie d’un groupe social déjà fragilisé, on court le risque de mettre en tension le principe de solidarité transgénérationnelle et au-delà le pacte républicain lorsqu’un pouvoir discrétionnaire prive arbitrairement une catégorie de citoyens de son outil de travail.

« L’homme de ce temps a le cœur dur et la tripe sensible »

Méditons cette sagesse de Bernanos qui nous alertait sur les dangers d’une compassion émotionnelle qui, découplée d’une réflexion éclairée et ajustée, conduit inévitablement à la dureté du cœur.

Pr Gilles Bernardin

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