À lire, une réflexion sur l’importance de l’intuition, par Gérard Fitoussi, parue dans la revue Éthique. La vie en question (décembre 2023), intitulée «L’exercice clinique pourra-t-il se passer de l’intuition?», dont voici l’introduction:
À la suite de l’appel d’une patiente inquiète pour un léger malaise, le phénomène de l’intuition s’est imposé dans mon exercice clinique. Alors que j’étais sur le point de la rassurer, je me suis entendu dire à la patiente: «Peut-être vaut-il mieux appeler le 15». Elle suivra ce conseil, et le médecin urgentiste, à son tour, bien que n’ayant constaté aucun signe de gravité, décidera de l’hospitaliser. Le lendemain, j’ai appris qu’elle était décédée en attendant son transfert pour une intervention chirurgicale.
L’issue tragique de cette situation a suscité en moi un mélange d’émotions, de tristesse, de colère, ainsi qu’un sentiment de soulagement teinté de lâcheté. Tristesse due au décès de cette patiente que je connaissais bien. Colère, face à une mort prématurée et soulagement que je pourrais qualifier de «lâche», pour avoir conseillé d’appeler les services d’urgences plutôt que de rassurer la patiente, comme je m’apprêtais à le faire. Ce conseil qui m’exemptait d’une erreur de diagnostic a soulevé pour moi de multiples questions quant à ce qui s’est passé pendant ce bref moment où, alors que j’allais rassurer la patiente, une «voix», m’a conseillé plutôt d’appeler le 15.
Quelle est cette voix? Qui est celui qui l’a prononcé? Et pourquoi avoir choisi de la suivre? S’agissait-il d’une intuition? Quelle est la nature de l’intuition? D’autres médecins ont-ils des intuitions? Est-il éthique de prendre une décision basée sur une intuition? L’intuition est-elle l’apanage des seuls humains ou l’intelligence artificielle pourrait-elle par exemple s’en emparer?»