Le n°85 de la revue Pratiques, Les cahiers de la médecine utopique, est sorti sur le thème « Réhumaniser le soin en psychiatrie et ailleurs… » :
« Après un constat plutôt douloureux de la situation de la psychiatrie en France, comme dans tous les secteurs de la santé, nous avons essayé d’imaginer différentes façons de réhumaniser les conditions de soin, niées par une idéologie managériale et budgétaire démobilisatrice. Comment retrouver le souffle et le courage de résister à ce qui opprime comme jamais les soignants et, par conséquent, compromet gravement la qualité des soins qu’ils doivent aux patients ?
Il ne s’agit pas de tout réinventer, il y a déjà de belles initiatives à défendre et à faire connaître, mais peut-être est-il nécessaire de retrouver l’essence même du soin, d’aller un peu plus loin, voire ailleurs, et oser l’utopie bienfaisante et créatrice sans laquelle il ne saurait y avoir de progrès. Au point où nous en sommes, il n’y a qu’en sortant des barbelés mortifères que nous pouvons espérer réenchanter les métiers du soin et répondre à leurs missions qui, elles, n’ont pas disparu.
Comment décloisonner, recomposer l’organisation et les pratiques du soin, mais aussi de tous les champs annexes (éducation, social…), et repartir des réalités des personnes, du présupposé de leur intégrité corps psyché ? Comment tenir compte des contraintes qu’elles subissent et de la souffrance qu’elles expriment, dont personne ne se soucie sauf lorsqu’elles la décompensent et qu’elle devient un diagnostic digne d’intérêt, voire d’intérêts, pour la machine à soigner ?
En ces temps de saucissonnage à l’extrême de l’individu en pathologies d’organes, handicaps, dysfonctions, désadaptations, déstructurations et autres inadaptations à la folie du monde, la question de l’affirmation de nos différences et la reprise en main de nos destins se pose comme jamais.
Face aux rêves de maîtrise de certains croyants de la neuroscience-fiction, des partisans de la performance de nos cerveaux « augmentés » et de ceux qui espèrent en tirer profit, nous ne pouvons continuer à taire nos aspirations. Nous voulons vivre selon nos propres idéaux et retrouver des manières de « faire société » qui aident les personnes à tenir face à l’adversité au lieu de les exclure.
La destruction de pans entiers de la psychiatrie, mais aussi la transformation forcée des lieux de soin en systèmes de réparation organique ambulatoires, sans accompagnement ni suivi sérieux, provoque la démobilisation, voire la démission des professionnels les plus engagés. Usés, dégoûtés ou encore pire… complices, les acteurs du soin répondent de moins en moins aux besoins.
L’évolution vers la diminution d’attention à l’autre en difficulté, la disqualification du temps consacré à son écoute, l’inflation des contraintes, le conformisme à des normes déshumanisantes et surtout la volonté de cantonner les soignants à des actes techniques tendent à les déposséder de leur capacité à inventer face aux situations du quotidien. Nous ne pouvons pas nous contenter de dénoncer, il faut d’urgence réaffirmer les conditions nécessaires à l’arrêt de cette destruction des lieux de soins, repli ultime. Il faut revendiquer le respect des compétences, de l’expérience, de l’éthique, des capacités à habiter et enchanter les fonctions.
Pour réparer l’incroyable gâchis que l’on impose aux humains, il conviendrait de démontrer l’absurdité des manœuvres de déconstruction actuelles et leur opposer ce qu’on pourrait qualifier de projet « alternatif » : des professionnels qui retrouvent la passion de soigner, d’enseigner, de chercher et préserver l’équilibre qui leur est nécessaire pour ce faire afin de répondre à la croissance des attentes de la population. »