Le Journal international de bioéthique consacre un numéro spécial aux « Controverses éthiques, controverses scientifiques ». Créé en 1990 par le Pr L. Roche (médecine légale) et M. Ch. Byk (magistrat, spécialiste de droit international), le Journal International de Bioéthique (éditions Eska) est une revue trimestrielle bilingue consacrée à une approche pluridisciplinaire et internationale des rapports sciences, éthique et société. Elle constitue un forum de réflexion et d’analyse des questions liées au mouvement bioéthique qui s’est développé depuis les années 1980.
Date limite d’envoi des contributions: Le 1er juillet 2021.
Argumentaire du numéro thématique
La connaissance apportée par la science a pour propriété première la stabilité. C’est ainsi que Socrate distingue la science de l’opinion dans le Ménon (98a). Les opinions sont changeantes selon les mœurs, les époques, les personnes, voire les humeurs du moment. D’une connaissance, il semble qu’il n’y ait pas lieu de discuter. Cependant la science n’apparait pas tel le monolithe de S. Kubrick ; elle a une histoire, des conditions sociales, économiques et politiques d’apparition. Aristote déjà faisait dépendre l’apparition de la géométrie de la technique de l’arpentage, technique nécessaire pour retrouver les limites exactes des terrains engloutis par les inondations du Nil. Ainsi la géométrie naît de la contestation sur l’appropriation d’une source de revenus, les terrains cultivés. Selon cette origine, dont la fonction est plus allégorique qu’elle n’est historique, la connaissance scientifique est issue de la controverse il ne s’agit pas seulement de dire le vrai ; il s’agit de mettre fin à des litiges. Il en est de même quand Archimède propose de peser la couronne du roi Hiéron, il s’agit de trancher une affaire : l’or confié à l’orfèvre a-t-il été intégralement fondu pour faire ce symbole du pouvoir (Vitruve, De l’architecture, IX) ? Ces deux exemples montrent que la connaissance scientifique s’établit et que, pour cela, elle a une histoire, ce milieu des événements. Précisément, et c’est le deuxième point, toute proposition nouvelle de connaissance qui veut s’établir et parce qu’elle se présente comme immuable sous une forme d’éternité, déclenche une controverse : vouloir dire le vrai, c’est vouloir s’assurer un pouvoir. Les propositions nouvelles de Copernic et de Galilée en astronomie, les controverses sur l’origine du vivant entre Pouchet et Pasteur, les siècles de contestation sur la nature de la lumière en physique, la présence ou l’absence d’un cinquième élément, l’éther, mise à mal par Einstein, la concurrence des tables astronomiques de Kepler avec celles des épigones de Ptolémée, montrent que la connaissance scientifique en tant qu’elle est un discours de vérité et, de ce fait, de pouvoir, est source de controverse.
A l’opposé, l’éthique semble l’arène de tous les débats. Il est admis qu’en éthique il n’est rien qui n’ait été défendu. Les stoïciens font de la sagesse l’acceptation volontaire d’une nature qui est un destin tandis que les épicuriens ne reconnaissent rien d’autre que le hasard. Vivre selon la nature qui semble le précepte commun aux écoles post-socratiques[1] n’a pas le même sens pour un Cynique, pour un Stoïcien, pour un épicurien. La moralité d’une action tient-elle à la rectitude du vouloir, comme le disent les philosophes déontologues, ou tient-elle aux conséquences avantageuses pour le plus grand nombre, comme le dit l’utilitarisme ? Cependant, un point semble partagé entre toutes les conceptions éthiques : il s’agit d’atteindre et de réaliser une vie bonne et désirable. La controverse semble se tarir avec la reconnaissance d’un seul et même souverain bien dans l’existence humaine. Nul ne souhaite pour soi et pour les autres une vie de souffrances en tant que telle et pour elle-même.