Les relations humaines et la justice sont tout aussi essentielles que les besoins organiques auxquels nos existences confinées semblent être réduites. C’est la thèse forte du philosophe Frédéric Worms, qu’il défend au sein du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Il ouvre ainsi la réflexion sur ce que pourrait être une véritable “politique vitale”.

Comment la pandémie de Covid-19 remet-elle au cœur de nos existences cette question : qu’est-ce qui est vital ?

Frédéric Worms : Nous vivons une mise en danger et une réorganisation globale de nos modes de vie, depuis les gestes les plus ordinaires, les relations les plus intimes, jusqu’à l’économie mondiale et à l’écologie de la planète. C’est très impressionnant ! L’expérience du vital est une expérience négative au sens où nous la ressentons en général à l’occasion d’une perte, d’un empêchement : la maladie, le deuil, la perte d’un emploi, une séparation… Tout ce que nous considérons comme le contraire de la vie. Avec le Covid-19, nous faisons cette expérience collectivement et à toutes les échelles. D’abord, dans la dimension la plus urgemment vitale du vivant : nous sommes rappelés à notre condition d’êtres vivants, donc fragiles et mortels. Le vital s’éprouve dans son évidence nue. Il nous faut nous tenir vivants : nous protéger du virus, manger, boire, dormir… Mais nous éprouvons aussi le vital par la perte d’autres dimensions de l’existence, comme les relations humaines. J’insiste sur le fait que ces deux plans sont essentiels. Certes, les relations ne sont pas une condition de la survie en état d’urgence absolue – c’est d’ailleurs pourquoi nous pouvons en partie nous en priver ou les réduire –, mais elles ne sont pas pour autant un luxe, même en temps de crise. Un cas très concret en ce moment est le problème des visites aux personnes âgées ou vulnérables isolées. Je travaille sur ce sujet dans le cadre du CCNE. Et je me sens très concerné, car mes parents âgés ont besoin de soins à domicile et je me fais du souci pour eux. Le contact affectif peut être tout aussi vital que le suivi médical, tous les soignants le savent : une absence de visite peut les faire mourir autant qu’une absence de soins. La relation est vitale, littéralement. (Source: Philosophie magazine)

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