Les médias se sont faits récemment l’écho d’une décision du Conseil Constitutionnel du 10 novembre qui consisterait à ne plus tenir compte des directives anticipées. Or c’est faux car cela part d’un malentendu à propos du contenu de ces directives et d’une méconnaissance du cadre législatif autour de la fin de la vie.
Le conseil constitutionnel – qui ne juge que de l’adéquation du texte législatif à la Constitution – déclare que « …un médecin n’est pas contraint de respecter les directives anticipées d’un patient sur son maintien en vie… ». Où l’on voit qu’il s’agit ici, non pas d’un refus de soin que le médecin ne respecterait pas, mais au contraire de la volonté d’un patient d’être maintenu en vie. Avant de conclure hâtivement à la fin des directives anticipées, il convient de commencer par clarifier la situation.
Voici donc qu’une personne écrit par anticipation – avant d’être dans l’incapacité d’exprimer sa volonté – qu’elle souhaiterait, si elle se retrouvait dans cet état, « qu’on poursuivre les traitements n’ayant d’autre effet que le maintien artificiel de sa vie ».
Artificiel signifie « grâce à la technique » (ars fécit). Or tout acte technique, depuis l’hospitalisation, jusqu’à l’intervention (inter-venir, c’est porter atteinte à l’intégrité corporelle du malade) est au minimum intrusif, si ce n’est agressif. Il ne doit donc être envisagé que s’il est le moyen de lui apporter un bienfait. Au contraire cet acte paraitra inutile si, quoiqu’on puisse faire, la guérison ne viendra pas et l’issue sera hélas fatale.
Il faut bien entendu que le malade soit parvenu à une phase « avancée ou terminale d’une affection grave et incurable« . Ce qui est bien le cas du patient de l’hôpital de Valenciennes qui était maintenu en vie artificiellement (c’est-à-dire grâce à des moyens techniques : pour respirer, se nourrir et s’hydrater).
Il s’agit bien de la question de l’obstination déraisonnable: faut-il s’obstiner sans raison à faire subir à une personne non curable des traitements inutiles? Pour l’éviter, les soignants cherchent toujours à évaluer leurs possibilités thérapeutiques selon le principe de bienfaisance et celui de non-malfaisance: d’abord ne pas nuire (c’est le primum non nocere d’Hippocrate).
Ici, considérant la réalité de l’état clinique du patient, ils ont donc choisi de ne plus poursuivre ces traitements agressifs afin de lui permettre de terminer sa vie de la manière la plus sereine et plus indolente possible. Il semblerait donc qu’il y ait contradiction entre sa volonté exprimée dans ses directives anticipées et la décision médicale.
Mais en réalité il s’agit plutôt d’un malentendu à propos précisément de ce que l’on entend par « directives anticipées ».
L’autonomie qui fonde la dignité de toute personne rend obligatoire pour tout soignant de recueillir son consentement avant de réaliser tout acte ou traitement. C’est reconnaître à tout malade le droit absolu de refuser un acte ou un traitement.
Mais ce droit – non discutable – de refuser un traitement ne signifie pas celui de l’exiger! Ainsi d’un patient qui souhaiterait par exemple qu’on lui place une prothèse totale de hanche alors qu’il n’aurait aucune lésion arthrosique. L’indication d’un traitement (dont nous avons dit qu’il est toujours peu ou prou agressif) reste du domaine exclusif du soignant, quand bien même, lorsqu’il serait approprié et consenti, le patient doit-il être constamment informé de ses modalités et de ses étapes.
Ainsi le malade dispose de ce que lui propose son médecin, ce qui lui donne la possibilité de le refuser après en avoir été correctement informé. En aucun cas un malade ne pourrait décider en l’exigeant, au seul prétexte de sa volonté, d’une indication thérapeutique serait-elle absurde.
C’est dire en d’autres termes que les directives anticipées ne peuvent avoir qu’un contenu négatif : « je ne voudrais pas… ». Si, atteint d’une « maladie grave et incurable », arrivée hélas à « un stade avancé ou terminal », nous serions « hors d’état d’exprimer notre volonté », exiger par anticipation de subir un acte technique dénué de toute indication (comme par exemple une chirurgie abdominale totalement inutile), serait tout à fait absurde!
Le malentendu se trouve dans les termes mêmes. « Directives » comporte le sens d’une injonction, d’un ordre. Et « volonté » signifie ce que je veux. Alors que, nous l’avons vu, si le droit inaliénable de tout patient est d’avoir la possibilité de refuser, il ne peut certainement pas être celui d’exiger un acte inutile ou non indiqué.
Ainsi lorsqu’une personne est hors d’état de pouvoir consentir (donc de pouvoir refuser) il est heureux que la loi lui permette d’exprimer ce refus par anticipation. Il eût été sans doute plus judicieux que le législateur utilisât les mots de « refus anticipé » au lieu de « directives » et de « …absence de consentement » au lieu de « …exprimer sa volonté ».
Qu’un malade décide par anticipation de refuser une trachéotomie par exemple est parfaitement licite, qu’il exige que les soignants le fassent alors que ce geste n’aurait d’autres effets que « le maintien artificiel de la vie » puisque la maladie grave serait incurable et à un stade avancé ou terminal, serait un dévoiement complet de l’esprit même du soin qui consiste à sauver les personnes sauvables et à accepter d’accompagner celles qui meurent, évitant alors de ne plus s’obstiner sans raison.
Les directives anticipées ne sont donc pas enterrées – elles sont d’ailleurs contraignantes, c’est-à-dire quasiment opposables – mais elles ne peuvent qu’exprimer un refus.
C’est ce qui en fait toute leur grandeur.
Michel Caillol
Docteur en médecine et docteur en philosophie (Éthique et Politique) – Membre de l’Équipe Pédagogique de l’Espace Éthique Méditerranéen – Fondateur de Médecine Éthique, organisme de formation